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25 May

L'HÉRITAGE DE GANDHI

Publié par D32gibraltar  - Catégories :  #Société


Ceux qui s'accordent à encenser Gandhi pour sa grandeur morale récusent généralement sa qualité d'homme politique. Et pourtant, le leader indien recèle de multiples facettes : le "Mahâtma" ("la grande âme". Tagore), "fakir séditieux à demi-nu" (Churchill), "pèlerin en quête de la vérité" (Nehru), "pur héros" (Lanza del Vasto) ou "stratège politique". Jamais homme ne suscita de jugements si diamétralement opposés. La clé de ce personnage complexe est sans doute donnée par Nehru dans son livre Ma vie et mes prisons. Il montre que la vérité de cet homme hors normes se dérobe toujours à l'analyse. En définitive, on peut se demander, 50 ans après sa mort, si Gandhi fut "le politicien le plus saint ou le saint le plus politicien".

De quoi sommes-nous redevables à cet homme qui a "inauguré dans la politique humaine le plus puissant mouvement depuis près de deux mille ans" (Romain Rolland) ? Est-il l'inspirateur de l'idée de non-violence ? Rien n'est moins sûr. Le concept d'ahimsa - que Gandhi définissait comme la "bienveillance envers tout ce qui vit" et qui guida sa conduite au tout début de son action fit son apparition en Inde au VIe siècle avant notre ère au sein du jaïnisme. L'ahimsa qui se définit comme le refus catégorique du recours à la violence fut développé par le Bouddha. Quatre siècles plus tard, on trouve dans le Sermon sur la montagne un enseignement analogue. Gandhi s'inspira de ces différentes traditions mais également de Tolstoï avec qui il entretint une correspondance passionnante. Est-ce à lui que nous devons l'action non-violente, cette "manière spécifique d'agir" excluant tout recours à la violence meurtrière ? La réponse est négative. Plusieurs chercheurs ont montré que les modes d'action non-violents furent adoptés dès l'Antiquité. Au XIXe siècle, les Hongrois résistèrent à la domination autrichienne (1859-1867) et les Finlandais à la russification de leur pays (1898-1905) par des moyens non-violents. De même, avant que Gandhi n'entre en scène, les tactiques non-violentes du général Da Silva Rondon (1910-1947) avaient brisé l'hostilité de treize tribus guerrières au cour des terres vierges du Brésil. Pensée ou action, la non-violence était déjà à l'ouvre quand le jeune Mohandas la découvrit pour la première fois en Angleterre, à travers le mouvement des suffragettes. Pourtant Gandhi renouvelle complètement la vision que l'on pouvait avoir de la non-violence en transformant cette sagesse en l'instrument politique qui allait contraindre les Anglais à se séparer du plus "beau joyau de la couronne". C'est précisément dans l'application des "principes de non-violence" à la libération des Indes du joug colonial que Gandhi dévoile son génie. Le chef du parti du Congrès dégage un nouvel horizon à l'humanité souffrante en étant "le premier leader à penser la non-violence en termes de stratégie politique" affirme l'historien Jacques Sémelin. On peut même dater l'événement précise-t-il.

Un instrument universel d'émancipation au service des opprimés. En effet, le 11 septembre 1906, jeune avocat au Transvaal, Gandhi fit prêter serment à la communauté indienne réunie dans le théâtre de Johannesburg "de ne jamais se soumettre à la Loi noire". Il s'agissait d'un projet visant à obliger les Asiatiques à se faire inscrire sur les registres de police afin de leur délivrer un certificat d'identité muni des empreintes des dix doigts. Cette mesure infamante et discriminatoire fut le point de départ des campagnes de désobéissance civile de Gandhi. Depuis cette journée historique de 1906, la non-violence est devenue un instrument universel d'émancipation au service des opprimés. Elle s'est développée aux Etats-Unis avec Martin Luther King et César Chavez, en Afrique avec Albert Luthuli et Desmond Tutu, en Amérique latine avec Dom Helder Camara, Mgr. Proano, José Mario Carvalho de Jesus, le Service Paix et Justice (Serpaj) co-fondé par le Prix Nobel de la paix, Adolfo Perez Esquivel, le mouvement des sans-terres au Brésil, avec Mgr Ruiz Garcia au Chiapas, en Asie avec Mgr Francisco Claver et Cory Aquino (Philippines), avec le mouvement des étudiants chinois, la résistance du peuple tibétain à l'invasion chinoise et Aung San Suu Kyi en Birmanie. Sur notre continent européen, les exemples de luttes non-violentes ou de résistances civiles viennent à l'esprit de tous, particulièrement en France, que l'on fasse référence au sauvetage des juifs au Chambon-sur-Lignon, à la lutte du Larzac, à la Marche des Beurs, aux actions directes non-violentes de l'association "Droit au logement", au mouvement des sans-papiers ou à "l'appel à désobéir" contre le projet de loi Debré lancé par 66 cinéastes. Longtemps méconnues, négligées ou méprisées, les expériences des mouvements civiques agissant de façon non-violente font aujourd'hui l'objet d'études sérieuses.

2/Ces formes politiques de combat non-violent ne garantissent pas le succès ainsi qu'en atteste la répression sanglante des étudiants de la place Tien An Men. Comme dans toute stratégie, de multiples facteurs doivent être réunis pour en assurer la réussite. L'analyse la plus pénétrante de l'action de Gandhi a été faite par Simone Panter-Brick dans son livre Gandhi contre Machiavel, elle en tire la conclusion que "l'efficacité des campagnes politiques gandhiennes est fonction de la force organisée appuyée par l'action du nombre (...). Il serait illusoire de penser que les techniques non-violentes - au nombre de 198 selon le chercheur et politologue américain, Gene Sharp - puissent être appliquées comme des "recettes". Le discernement politique est préalable à toute stratégie de l'action, c'est-à-dire à l'"organisation offensive des forces non-violentes en vue d'un objectif précis". En cette matière, le choix de la période la plus favorable au revirement des autorités, le point d'application du combat (Loi noire, impôt sur le sel...) ou "prise" révélant l'injustice ou le conflit et les moyens de communication pour le faire savoir comptent tout autant que les méthodes utilisées pour parvenir au but fixé.

La fin et les moyens

Ne faudrait-il pas encore dissiper un malentendu à propos de la "la non-violence" ? Est-elle de nature éthique ou politique ? Est-elle une sagesse ou une technique ? Le mouvement non-violent oscille constamment entre ces deux polarités. Au premier niveau d'analyse, on peut comprendre la non-violence comme un mode d'action éthico-politique. Celui-ci repose sur le principe de cohérence entre les moyens et les fins illustré par la formule "les moyens sont des fins qui se font". L'usage de modes d'action excluant la violence est déjà la préfiguration de la société pacifiée, juste et fraternelle vers laquelle tendent tous nos efforts. On ne peut bâtir une société juste "sur un monceau de cadavres", n'est-ce pas un enseignement essentiel de l'échec du stalinisme et de la plupart des mouvements révolutionnaires qui ont cru faire le "bonheur de l'humanité" sans égard pour les moyens utilisés puisque "seules importent les fins" ?

Il serait cependant dangereux d'inverser le rapport entre les moyens et les fins en considérant l'objectif à atteindre comme sans importance. L'usage de moyens non-violents n'assigne pas automatiquement des objectifs justes à ceux qui s'en font les champions comme le montre la grève des camionneurs qui a préparé la chute d'Allende au Chili. La recherche inlassable de la justice et de la liberté pour tous est l'étoile du berger du militant non-violent, cette finalité exige de lui qu'il fasse usage de moyens qui ne contredisent pas cette utopie.

Dans le monde tel qu'il est, cette exigence morale souffre quelques rares exceptions. La tragédie de Srebrenica et du Kosovo veut nous rappeler que le pire n'est plus incertain et que le moyen encore le plus sûr de parer à l'urgence, faute d'acteurs non-violents prêts à s'interposer entre les bourreaux et leurs victimes, peut être l'intervention armée. Cet humble conviction peut prévenir les "artisans de paix" de ne jamais figer leur conception vivante de la non-violence en une nouvelle idéologie que rien ne distinguerait plus du pacifiste radical qui préfère "la paix à tous prix", formule consacrant la trahison des valeurs qui donnent sens à l'histoire humain

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F
La photo est magnifique et j'adore le style de rédaction,merci pour ce site et cette ouverture
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D
<br /> bonjour, Merci pour votre commentaire. J.espère que vous appréciez le sens des textes, l'engagement, et le sens objectif et parfois critique de ceux ci. Vous pouvez y arroser des critiques et des<br /> idées. Je sais que venant de vous, elles seront justes et posées. À vous lire.<br /> <br /> <br />
M
Bonjour,J'ai trouvé votre blog très intéressant et j'aimerais vous proposer un partenariat avec notre forum, essentiellement féminin ,je vous l'accorde mais qui partage les mêmes valeurs que vous.Amicalement.http://couplemixte.coolforum.info
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D
<br /> Bonjour,<br /> <br /> Ce sera avec plaisir de vous proposer un partenariat. Je me suis inscrit sur votre site par aileurs au nom de D32girbaltar. Je vous laisse gérer pour me référencer sur votre Forum?<br /> Bien à vous<br /> <br /> David <br /> <br /> <br />

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